Déracinement en Psychologie interculturelle (Français, 2016)
“Tout est question de construction.”
“La clinique n'a jamais eu vocation à se complaire à la description des particularités culturelles du sujet .“
Commentez, discutez, et illustrez cette affirmation.
Tout d'abord, en quoi est-ce que la description des particularités culturelles du sujet pourrait être aidante dans la pratique clinique avec le sujet?
En y réflechissant, il n'y a rien de constructif qui apparait. La description des particularités culturelles, signifierait réduire l'autre uniquement à une connaissance. Certe, la culture n'est pas à oublier, car chacun a sa propre culture ou est origininaire d'une culture, mais il est plus important de s'intéresser au sujet lui-même et puis ce qui dans sa vision représente sa culture pour lui. De plus, l'appartenance culturelle n'est pas figée et il s'agit de quelque chose qui évolue notamment et surtout, dans le subjectif du sujet.
Il est alors plus constructif autant que clinicien d'être dans cette perspective-là. Notons que l'origine d'une personne ou la description des particularités culturelles du sujet ne nous en dit rien sur l'adhésion du sujet à ces pratiques culturelles. Par exemple: Parfois, ils ne connaissent même pas tous les rituels ou pratiques de leur propre culture. A quoi bon, donc se complaire à la description des particularités culturelles du sujet?
Ensuite, nous avons abordés dans le cours, que nous avons tous des représentations de notre propre culture et de celle de l'autre. Une hypothèse intéressante posée par Monsieur Vanoeteren, c'est qu'il faut réussir à déchirer cet écran, à se détacher de ces idées. Il faut savoir se dégager de ce savoir préalable, ce savoir présupposé sur l'autre (par exemple le savoir géo-politique). Ce qui est certe, cela ne semble pas un exercice évident mais cependant pas impossible. Ce détachement semble nécessaire au travail avec ces sujets. Parfois, dans la clinique, il faut savoir pouvoir se détacher du savoir pour être en cohérence avec le vécu du sujet et pouvoir intervenir pour le bien du patient. Nous l'avons d'ailleurs aussi appris lors d'un travail académique avec Vinciane Despret, qu'il est parfois nécessaire de se détacher de toute connaissance et croyance pour construire quelque chose avec l'autre.
Puis, comme le dit bien, Robert Berthelier: “...si injection ou injonction de sens il doit y avoir, elle ne saurait venir que du sujet lui-même.” (Berthelier, 1997). Il critique ainsi l'éthnopsychiatrie qui évoque avec ses patients les morts, les esprits et les rituels traditionnels. Georges Devereux répond par rapport à cela: “ ... gagner sa vie, se marier et d'autres activités “terre à terre” occupent une position beaucoup plus centrale dans toutes les cultures ques les rites de fertilité et les pratiques rituelles qui ne sont en réalité que la garniture de sucre glacé sur le gâteau culturel.” (Devereux, 1970). Cela met donc le doigt sur un point de vue universaliste, qui s'oppose au point de vue relativiste.
De plus, il semble déjà plus pertinent et constructif de s'intéresser au terme exil, comme élaboré au cours. Celui-ci permet de requestionner la personne en face de soi sur quelque chose qui nous concerne tous. En traitant l'autre, on traite aussi quelque chose de soi. Fethi Benslama insiste sur le fait que le terme “exil” correspond, à une expérience dans un temps, qui met en cause la totalité du sujet dans son existence et dans le rapport à ses signifiants fondamentaux. (Benslama, 2003). Si nous comprenons cela, nous arrivons à être plus près de la subjectivité du sujet, que si nous évoquons les particularités de sa culture.
Le terme “exil” est selon la psychanalyste Fethi Benslama un terme plus humain, à l'opposé de ceux de migration qui provient de l'éthologie ou de déracinement qui provient de la botanique. N'est-ce pas l'espace de l'humain le centre de la clinique?
Alain Vanoeteren, amène une nuance pertinente quant à l'exil et affirme: “...une expérience universelle d'arrachement à une part de soi, de renoncement à ce qu'on était à ses propres yeux, aux yeux des autres, pour affronter une part d'inconnu, d'insu, que ce soit au niveau de l'intime ou du partagé, de l'individuel ou du collectif...s'y ajoute la plupart du temps une dimension de forçage, d'obligation à partir.” (Alain Vanoeteren). Ici, ce qui ressort c'est la perspective de l'humain, c'est à quoi il est confronté lourdement subjectivement et psychologiquement. C'est donc cela, qui est essentiel lors du travail clinique avec ces sujets et c'est ce que j'en retiens.
Une autre idée intéressante est celle que Benslama met aussi le doigt sur l'exil comme “expérience de l'extériorité de la faveur de laquelle peut se produire un mouvement de contraction de la fonction du sujet, laissant le moi sans recours symbolique efficient quant au dehors. La maladie de l'exil n'est pas la perte du pays mais du lieu où exister.” (Benslama, 2003). Si nous gardons cela à l'esprit, nous pouvons autant que clinicien constuire la clinique autour de ce lieu où exister et non pas autour de descriptions relatives qui risquent de réduire le sujet ou voire même d'effacer son existence. Cette réduction de l'humain ne serait pas sans effets nocifs pour la rencontre clinique, il est donc essentiel d'y être attentif autant que clinicien.
“... Pour le patient étranger, pour ceux qui ont vécu le déplacement, ce n'est pas la restitution d'un sens culturellement donné de leur origine... mais cette question du lieu à laquelle le patient et son thérapeute doivent s'ouvrir et qu'ils doivent accueillir.” (Benslama, 1990). Pour moi, il s'agit donc de se concentrer sur ce lieu avec le sujet et de co-construire avec lui autour de ce pôle. Cela me semble plus une démarche de guérison ou de réparation potentielle que celle de la connaissance d'une culture. Je tiens aussi à dire, qu'il est donc souvent dans cette clinique interculturelle plus important de construire autour du symbolique subjectif qu'autour des faits préétablis.
Pour finir, j'ai choisi cette citation de Devereux qui m'a parlé et à laquelle j'adhère: “...l'ethnopsychiatre doit apprendre à se pencher en premier lieu sur la personnalité du patient et en second lieu seulement sur sa culture. S'il s'agit autrement, il se transforme lui aussi en machine à stéréotypes.” (Devereux, 1978, 212).
Face au sujet, il faut se poser en premier lieu la question: “Qui est le sujet dans sa subjectivité?”, puis “ Que fait le sujet de sa culture?” ou “Quelle vision a-t-il de sa culture?”. Par rapport à ce contenu, autant que clinicien dans notre créativité et ceci en co-construction avec le sujet, il est possible de créer des espaces de travail bien plus profonds et constructifs pour le sujet que la simpliste prise en compte des particularités culturelles.
“ Aujourd'hui, et avec la population réfugiée qui a vécu des violences collectives et l'exil, le clinicien demeure un professionnel confronté à l'inventivité. Les psychothérapies avec ces patients dont les restes traumatiques en souffrance insistent tant et où se mêlent à la clinique des dimensions politiques, sociales et culturelles, amènent les thérapeutes à interroger leur pratique. “ Développez.
En fait, beaucoup d'exilés souffrent d'un traumatisme mais pas toutes les expériences d'exil donnent lieu à cette problématique. Le vécu d'exil en lui-même rassemble déjà des dûres et lourdes épreuves. Comme Alain Vanoeteren tient à insister: “Les effets sont parfois pires que ceux d'un traumatisme. La perte des repères sociaux, l'absence prolongée, voire le deuil à distance, d'êtres chers, la confrontation à une nouvelle langue, à de nouvelles normes et coutumes, l'impression de déranger, d'être différent, de valoir moins qu'un autre, l'agressivité, l'indifférence, la suspicion ou les descriminations subies en tant que nouvel arrivant, le désespoir découlant de l'absence de reconnaissance et des nouvelles épreuves imposées, le doute, le sentiment d'échec, l'isolement, la crainte d'être expulsé, ou de vivre comme un citoyen de seconde zone...”. Nous nous rendons bien compte ici, de la lourdeur d'expériences difficiles et éprouvantes pour ces humains qui aboutissent souvent à une grande souffrance.
A l'aide de cet exemple, il faut donc remettre en cause la pratique du clinicien interculturel et rester ouvert aux différentes souffrances psychiques, car comme nous le réalisons, elle peut se déployer sous différentes formes et accumulations d'évènements douloureux enchaînés les uns aux autres. Ici, aussi il ne fait pas réduire l'homme exilé à un traumatisme et l'aborder avec un diagnostic fait en tête ou avec un DSM V à l'esprit repérant tous les symptômes. Il s'agit d'aller plus loin que cela: essayer d'appréhender l'homme dans toutes ses multitudes souffrances et ce que cela englobe pour lui/elle, c'est-à-dire aussi s'intéresser au signifiant. Un homme est bien plus qu'un traumatisme et vit bien plus qu'un traumatisme ponctuel dans sa vie.
Parfois, comme illustré, il vit un enchaînement d'éléments douloureux et la question de l'adaptation serait peut-être aussi pertinente de se questionner dessus. Adaptation mais jusqu'à quel point? Les humains, sont des humains avant tout, et parfois malheureusement cette vision se perd... dans le chaos, la confusion et le non-sens...
Les situations absurdes auxquelles sont confrontés les sujets sont un aspect important à aborder. Comme le note Alain Vanoeteren: “ L'exilé actuel...ce qu'il endure, souvent, c'est absurde et le nonsens de sa condition d'être déplacé, malvenu, parfois spolié. En outre, il est également presque toujours porteur d'attentes impossibles à réaliser, pour lui-même, ses proches et ceux qui, restés au pays, l'ont investi de la mission de l'élu par qui doit être garanti le bien-être de tous ceux qui ont investi dans son départ.” Le sujet est donc submergé par un non-sens intérieur.
Puis, aussi les situations absurdes dans le concret de la procédure de demande d'asile: des personnes qui ont parfois des raisons légitimes pour demander l'asile se voient parfois refusés de la demande. Nous avons vu en cours, que l'homme somalien se disait somalien mais que dans son discours il le parlait à peine et qu'il ne connaissait pas la géo-politique du pays. Il a donc été conclu qu'il était un faux-somalien. Il s'en découle qu'il a un ordre pour quitter le pays, mais n'a pas lieu pour être expulsé. Il s'avère donc que cet homme n'a pas d'identité, pas d'existence. Si cela ne constitue pas l'absurdité du plus haut degrès, alors je ne sais pas... Ici donc, l'absurdité induite par l'extérieur. C'est absurde et c'est triste pour l'humain, que l'on puisse à en arriver là...
Cela peut être un vécu très difficile psychiquement pour le sujet. Cet exemple illustre bien, le nonsens et l'absurdité dont il peut être question. Ceci étant créé par le mélange des dimensions politiques, sociales et culturelles de notre monde... Ceci, prouve qu'il reste donc beaucoup d'éléments à mettre en question ou en cause par rapport à la pratique interculturelle. Cela montre aussi, que le clinicien se doit d'alimenter son processus réflexif quant à ces instances de la société, car elles ont une répercussion et un impact, parfois comme vu, honteux et horrible pour les humains. Cela donne source à des émotions négatives... qui peuvent devenir source de souffrance à son tour. Une boucle tournante.
Dans tout cela (oui c'est beaucoup et complexe!!), le clinicien interculturel doit être inventif et créatif pour créer un espace de sauvetage pour ces personnes, ce qui n'est pas tâche facile mais au contraire, il faut être doté de courage, de créativité et de cœur pour l'humain (l'autre). L'espace du thérapeute est donc essentiellement en lien avec le sujet, hormis ces facteurs extérieurs dans lesquels le sujet est plongé mais le thérapeute aussi. Ils doivent donc co-constuire ensemble, un espace cohérent et protecteur pour les deux, car le monde extérieur, comme montré auparavant, ne l'assure pas et est souvent très dûr et incohérent...
Respect aux cliniciens interculturels pour leur courage, engagement et dédication!!
Dina Freitas